Etre borderline

Le trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline

Le trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline pourrait être littéralement traduit comme un trouble de la ligne frontière. Et c’est exactement ce qui caractérise ce trouble. Les personnes qui en souffrent vous diront naviguer toujours sur la crête d’une vague, à cheval entre les extrêmes, entre le rationnel et le trop émotionnel, entre le tout noir et le tout blanc. Elles mettent en péril leurs propres limites et mettent souvent à mal celles des autres. Personnalité limite dit-on d’ailleurs en français. L’idée est la même.

Vous aurez noté qu’il est écrit ci-dessus que les personnes en souffrent. Oui, les personnes ayant ce trouble décrivent généralement une souffrance terrible. Si cela ne tenait qu’à elles, elles se débarrasseraient une fois pour toutes de leurs émotions intenses qu’elles parviennent si difficilement à réguler. Leurs montagnes russes affectives, leurs réactions impulsives, leurs relations interpersonnelles parfois si conflictuelles, leur crainte excessive de l’abandon les mettent régulièrement dans des états de détresse que les personnes n’ayant pas ce trouble peinent à comprendre. Et pourtant. C’est exactement tout cela qui caractérise le trouble de la personnalité borderline. Le DSM-V a d’ailleurs répertorié 9 critères. Il faut en avoir au minimum 5 pour que le diagnostic soit retenu. Ces symptômes sont normalement présents de manière continue depuis l’adolescence ou le jeune âge adulte  et sont responsables d’un handicap certain dans diverses sphères de la vie de l’individu:

  1. La personne fait des efforts effrénés pour éviter les abandons, qu’ils soient réels ou imaginés.

La personne est donc très sensible à tous les signaux donnés par l’autre qui vont lui laisser penser que celui-ci est en train de l’abandonner. Exemple : « Mon amie ne m’a pas écrit de message aujourd’hui, c’est sûr, elle ne m’aime plus et ne veut plus me voir ». Les autres options ou explications de l’absence de message ne sont plus envisageables.

  1. La personne vit des relations interpersonnelles instables et intenses, dans lesquelles l’autre peut être tantôt idéalisé tantôt détesté. 

La personne va vivre des moments où l’autre est idéalisé : « c’est génial, c’est la meilleure personne jamais rencontrée, elle me comprend tellement bien ! » ; et des moments où l’autre est dévalorisé : « c’est vraiment n’importe quoi, tu es nul, tu ne comprends définitivement rien à rien, je le savais depuis le début de notre relation que cela n’allait pas marcher ! ».

  1. La personne souffre d’une instabilité de son image, elle peine à savoir qui elle est, change de point de vue sur elle-même de manière radicale et soudaine.

La personne va donc avoir de la peine à savoir qui elle est, comment se positionner par rapport à autrui, elle va souvent essayer de s’adapter en adoptant les attitudes ou les caractéristiques des autres. Cela peut se traduire par exemple par des changements fréquents d’activités professionnelles, ou de centre d’intérêt ou encore de style vestimentaire.

  1. La personne présente des comportements impulsifs dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour elle (dépenses financières, sexualité, toxicomanie, …).

Il s’agit ici de tous les comportements non réfléchis, décidés sur un coup de tête, sans prise en considération des conséquences à long terme de l’action. Ces comportements sont très souvent guidés par l’état émotionnel et visent essentiellement à résoudre dans l’immédiat un problème, un conflit ou toute autre situation qui est perçue comme difficile par la personne.

  1. La personne présente des comportements, gestes, menaces suicidaires ou auto dommageables.

Comme pour le critère précédant, ces comportements s’inscrivent dans la lignée des comportements impulsifs qui visent à réguler de manière rapide, mais sans prise en compte des conséquences à long terme, la tension émotionnelle intérieure. Ils sont fréquents chez les personnes ayant un trouble de la personnalité borderline et l’on estime que plus de 70% des individus concernés en présentent.

  1. La personne manifeste une instabilité affective due à une réactivité émotionnelle marquée. Les émotions sont intenses et mettent longtemps à redescendre à un seuil contrôlable.

C’est la marque de fabrique du trouble de la personnalité borderline. Il est en effet rare que les personnes souffrant de ce trouble ne présentent pas ce symptôme. En général cela se traduit par une hypersensibilité à tous les stimuli (positifs ou négatifs) que la personne va rencontrer dans son environnement. Il en découle très souvent des émotions en « montagnes russes », la personne pouvant passer dans l’heure de la joie à la tristesse ou encore à la colère. Comme décrit dans l’énoncé, la particularité est aussi que les émotions mettent du temps à redescendre et c’est l’une des raisons pour lesquelles les personnes ont recours aux comportements auto dommageables. Cela permet de ramener plus rapidement l’activation émotionnelle à un niveau supportable.

  1. La personne ressent chroniquement le vide.

Cela se traduit par exemple par le fait de ne pas supporter d’être seul, sans la compagnie de quelqu’un. C’est une sensation profonde de solitude intérieure insupportable et qui pousse souvent l’individu à rechercher constamment une activité à faire et de préférence avec quelqu’un de proche. Mais cela n’est souvent pas suffisant. Même en compagnie d’autrui, la personne peut se sentir seule au monde, comme une coquille vide, dépourvue de pensées et d’affects.

  1. La personne exprime la colère de manière intense et inappropriée et/ou a de la difficulté à la contrôler.

Parmi les émotions qui posent le plus de problèmes à une personne ayant un trouble borderline, il y a la colère. Cela va se traduire par des crises clastiques souvent incontrôlables, des cris et des insultes, ou encore par des bris d’objets ou l’agression physique et/ou verbale d’autrui.

  1. La personne peut, dans des situations de stress aigu, avoir des idéations persécutoires ou des symptômes dissociatifs sévères.

En situation émotionnelle très intense (situation de stress) la personne peut avoir l’impression qu’elle ne se contrôle pas : « j’étais tellement énervé que je ne me rappelle plus très bien comment j’en suis arrivé à me faire du mal ». C’est un peu comme si elle était dirigée par quelqu’un d’autre. C’est aussi ce qui explique que parfois certaines personnes peuvent ne pas ressentir la douleur lors d’un comportement auto dommageable (scarification par exemple). C’est comme si le corps était anesthésié. Les idéations persécutoires se réfèrent à l’impression que tout le monde leur en veut ou sont contre elles. Dans ces moments de stress intense, la pensée est parasitée par l’émotion.

 

Deux à 4% de la population générale souffre du trouble de la personnalité de type borderline, ce qui n’est pas rien. En psychiatrie, plus de 20% des patients présentent le trouble ; surtout dans les services d’urgences et les services ambulatoires. Les hospitalisations sont fréquentes. Les tentatives de suicide aussi (environ 8% de ces patients décèdent d’un suicide). C’est dire que c’est un trouble sévère, à prendre au sérieux, et de loin pas un phénomène de mode comme on peut parfois l’entendre. En témoignent par ailleurs les conséquences à long terme induites par ce trouble : davantage de divorces, moins de réussites académiques ou professionnelles, comorbidités psychiatriques (85%) et 14% de décès dus aux autres conséquences du trouble.

La bonne nouvelle est que le trouble a naturellement un bon pronostic. L’intensité réactionnelle et comportementale diminue nettement avec l’âge. Mais n’empêche, le parcours de la personne borderline est un véritable parcours du combattant. Les traitements pharmacologiques sont peu voire pas efficaces. Les psychothérapies spécialisées en revanche ont montré une grande efficacité (la TCD*, la TBM*, la GPM*, la TFP*). On ne peut qu’encourager toute personne concernée à en entreprendre une.

Heureusement, les proches sont de moins en moins laissés pour compte. Parce qu’autant la personne souffrant du trouble borderline vit parfois un véritable enfer, autant les proches peuvent aussi être en très grande difficulté. Les questions autour du trouble sont multiples, et il y a aussi le besoin de soutien et d’entraide. Il est essentiel que les proches puissent rencontrer et échanger avec des personnes qui vivent des situations similaires, réfléchir ensemble, sortir de la solitude, du désespoir et de la culpabilité. Ce site est le résultat de tels échanges. Il a émergé suite à une belle rencontre entre de nombreux proches ou parents. La vocation de ce site est de prodiguer informations, réseau et soutien ; nous ne pouvons que le soutenir !

Karen Dieben, psychologue psychothérapeute FSP, Unité TRE,
Hôpitaux Universitaires de Genève

Pr Nader Perroud, médecin adjoint agrégé, responsable de l’unité TRE, Service des Spécialités Psychiatriques, Département de Psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève et Université de Genève

*TCD : Thérapie Comportementale Dialectique

*TBM : Thérapies Basées sur la Mentalisation

*GPM : Good Psychiatric Management

*TFP : Psychothérapie Focalisée sur le Transfert

Bibliographie 

Christina M Temes, Frances R Frankenburg, Garrett M Fitzmaurice, Mary C Zanarini. Deaths by Suicide and Other Causes Among Patients With Borderline Personality Disorder and Personality-Disordered Comparison Subjects Over 24 Years of Prospective Follow-Up. J Clin Psychiatry. 2019 Jan 22;80(1):18m12436.  doi: 10.4088/JCP.18m12436.

DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. American Psychiatric Association, Elsevier Masson, 2015.

Gunderson JG, Herpertz SC, Skodol AE, Torgersen S, Zanarini MC. Borderline personality disorder.  Nat Rev Dis Primers. 2018 May 24;4:18029. doi: 10.1038/nrdp.2018.29.

Le Manuel du Borderline. Martin Desseilles, Bernadette Grosjean, Nader Perroud. Eyrolles 2014.